Guy de Frondeville retrouve le « Morse »
Publiée au premier
trimestre 1960 une brochure de la CMAS (Confédération
Mondiale des Activités Sub-aquatiques) s’intitule « Le plongeur et l’archéologue« .
Réunis par François Clouzot secrétaire de la commission archéologique de la
CMAS, des textes importants signés des grands noms de la plongée et de
l’archéologie sous-marine sont destinés à nourrir les travaux de la
commission archéologique de la CMAS réunie à Barcelone à l’occasion du 1er
congrès mondial des activités subaquatiques le 7 mars 1960. C’est assez dire
son importance scientifique et aujourd’hui historique.
« Le plongeur et
l’archéologue » plaquette rédigée par J. Y. Cousteau, Ph.
Tailliez, Fernand Benoit, Frédéric Dumas, Guy de Frondeville, Alexandre
Sivirine, Jacques Dumas, François Clouzot et Miss Honor
Frost. Éditée à 2000 exemplaires, consultable au musée, n°
637, don André Védrines.
Le CH I traite de l’archéologie
sous-marine et est signé Frédéric Dumas (Nous le publierons) le CH II de
trois exemples de fouilles sous-marine, le premier s’intitulant L’épave de
Mahdia et est signé par Guy de Frondeville,
plongeur et archéologue, animateur de la troisième campagne de fouilles sur
le site de Mahdia , après celle des pieds lourds en 1908-1913 et celle
des scaphandres autonomes en 1948.
Guy de Frondeville a tiré un livre
de ses expériences avec son club de plongée, le Club d’Études Sous-marine de
Tunisie au large du Cap Bon:
« Les
visiteurs de la mer » de Guy de Frondeville, Ed Le Centurion 1956. Fonds
documentaire du musée donation Jacqueline de Frondeville. Photo de
couverture: Yvonne de Roland remontant une amphore romaine trouvée dans les
eaux de Kélibia à 15 mètres de profondeur. Vue prise par Henri Bachollet.
Histoire d’une donation:
Une des plongeuses du club et participant à cette fouille était Jacqueline de Frondeville son épouse. En
2012 par contacts successifs elle a proposé en accord avec ses enfants de
faire donation au musée d’un important ensemble comprenant: une collection de
coquillages de toutes les mers, du matériel de plongée ayant équipé dès cette
époque (à partir de 1953 toute la famille), des pièces archéologique et des
documents d’archives, dont l’autorisation de scanner les photos des albums
n&b des campagnes de fouilles, divers films super 8 que nous avons fait
transférer en numérique par Family Movies Paris, une série de boîte de diapos
en couleurs Kodak, scannées et restaurées par Bernard Laire.
Jacqueline
de Frondeville découvre le corail à – 60 mètres. Diapo Guy de Frondeville
1954-55 , reproduction Bernard Laire. Fonds documentaire du musée
Voilà pourquoi nous pouvons dans
cet article évoqué le sous-marin Morse sur lequel Guy de Frondeville
a plongé et dont le musée possède deux pièces de vaisselle.
Extraits
du livre « Les visiteurs de la mer »
… « Mais les
plongées les plus émouvantes que nous eûmes l’occasion d’effectuer
sur des épaves de guerre furent certainement celles du Morse. Ce
sous-marin français de croisière de onze cent dix tonnes, du type requin,
mis en service en 1927, était basé à Bizerte. En septembre 1939, il
exécuta diverses missions à Sousse, Oran, Casablanca. Le 10 juin 1940, il
partait pour surveiller le golfe de Gabès, et le 15 juin, recevait l’ordre de
rejoindre le port de Sfax.
On attendit vainement l’arrivée du sous-marin. Le 23 juin on découvrit deux
corps de matelots échoués aux îles Kerkenna, et reconnus comme faisant partie
de l’équipage, puis, dans le courant du mois de juillet, sept corps non
identifiés, qui furent enterrés au carré du « Souvenir Français » à
Sfax. Chaque tombe est surmontée d’une croix portant la
mention : « Sous-marin Morse : un marin ».
Quelques mois plus tard, on pût entreprendre des recherches, et constater que
le sous-marin, sans doute pris dans un champ de mines, avait explosé et coulé
par vingt-sept mètres de fond, ensevelissant son commandant, le lieutenant de
vaisseau Paris, quatre officiers, neuf mariniers, trente-neuf quartiers
maîtres et matelots.
En 1950, au cours d’une mission
hydrographique de dragage des côtes d’Afrique du nord, l’épave fut de nouveau
repérée, légèrement inclinée sur bâbord, l’avant fortement endommagé. Le nom
put être lu sur le kiosque. Le Morse repose à quatre milles au sud
de la bouée n° 7, elle-même au sud des Kerkenna. Aucun alignement sur les
côtes ne put être pris. La position fut déterminée en latitude et longitude.
Le 3 juillet 1954, au cours d’une expédition à Sfax, nous
pûmes recueillir l’accord de la Marine nationale pour nous aider à retrouver
l’épave, grâce au concours de l’escorteur côtier Dragon. Le
rendez-vous fut fixé le lendemain à huit heures du matin,à la bouée n°
7. Le 4 juillet à cinq heures et demie, nous quittons Sfax en direction
de la bouée. Le vent qui souffle du sud depuis une dizaine de jours, fait
moutonner la mer et craindre une mauvaise visibilité.
Album
photos de Guy de Frondeville. Coll. Part. Tous droits réservés.
A l’heure dite, le Dragon
arrive sur les lieux, fendant la mer de son étrave puissante, et nous
l’accostons. L’escorteur va détecter le sous-marin à l’Asdic, en naviguant au
cap 210 à partir de la bouée. Très obligeamment, son commandant nous invite à
monter à bord pour assister au travail de repérage ; Cirier, Brandily et
moi-même acceptons avec empressement. Un marin monte à bord du Pétrel, muni
d’un « Walky-Talky », le petit appareil émetteur-récepteur de radio
portatif pour les courtes distances. L’engin à l’oreille, il restera debout,
immobile pendant plus de deux heures.
…/…
Le Dragon s’éloigne de la bouée. Les officiers s’affairent autour de
leurs instruments : asdic, sondeur, et sur la passerelle.
Le Pétrel suit à distance. Les signaux régulièrement émis par
l’asdic ponctuent le silence de l’attente. Sur la bande enregistreuse, le
stylet trace ses parallèles énigmatiques.
Vers
l’épave du Morse. Photo Guy de Frondeville.
Coll. part.
Nous rejoignons le Pétrel
et envoyons une première équipe en plongée de reconnaissance. A peine
s’est-il enfoncé que Singer remonte à la surface, faisant le signe V :
le sous-marin est bien là. Des bravos s’élèvent à l’adresse du Dragon,
qui est resté sur les lieux pour avoir confirmation de la découverte. Sans
lui, nous aurions pu chercher cette épave pendant des journées entières.
Cirier, Brandily et moi organisons la plongée suivante.
…/…
Le sous-marin, contrairement aux autres épaves, même les plus vieilles, ne
dégage aucune bulle d’air, aucune tache d’huile. L’eau ne semble pas l’avoir
envahi et il n’est pas possible d’y pénétrer. Il règne un silence de
cimetière. Nous longeons le long cercueil, pleins d’émotion. La coque paraît
intacte, mais elle est rongée, recouverte d’incrustations et d’éponges. Au
toucher, la tôle des ballasts ploie facilement. Partout, la rouille a fait
sauter la peinture. L’épave semble sans poids, à peine posée sur une vase
consistante qu’elle n’a pas marquée de son empreinte.
Album
photos de Guy de Frondeville. Guy de Frondeville sur l’épave. Coll. part.
Au moment de l’explosion, le navire
naviguait en surface, en position de veille, panneaux fermés. L’explosion a
dû crever les ballasts, ce qui explique son enfoncement. Spectacle
étonnant : à travers toutes les ouvertures rectangulaires supérieures
des ballasts, des badèches passent le museau, ne perdant pas de vue de leurs
fenêtres, un seul de nos mouvements.
Album
photos de Guy de Frondeville. Vue prise au niveau du kiosque. Coll.part. Tous droits réservés
…/…
Nous atteignons le kiosque. Le nom du sous-marin n’est plus visible. La
baignoire est ouverte ; le premier panneau du sas est ouvert également,
mais le panneau inférieur, que l’encombrement des bouteilles ne nous permet
pas d’atteindre, nous semble fermé dans l’obscurité. Les périscopes,
aveugles, ont les yeux recouverts d’une taie, d’une carapace calcaire. Deux
mitrailleuses de vingt millimètres pointent vers l’avant.
L’explosion a arraché le tiers avant du sous-marin, au niveau du canon. La
coque mesurait soixante quinze mètres de long, il en reste une cinquantaine.
Vers l’avant, le long fuseau est coupé net, verticalement, et en ce point les
tôles disloquées abritent une faune incroyablement dense. Les cloisons
étanches sont fermées à trois ou quatre mètres à l’intérieur de cette
déchirure.
Album
photos de Guy de Frondeville. Sous l’épave du Morse.
Coll. part. Tous droits réservés.
Malgré moi je tends l’oreille comme
pour entendre les bruits familiers de la vie de l’équipage, ceux qui
devaient résonner à travers la coque lorsque l’épave commence sa seconde
destinée… Pendant la dernière guerre, les appareils de sauvetage individuel à
bord des sous-marins étaient encore à oxygène. Au-delà d’une vingtaine de mètres,
les équipages étaient pratiquement condamnés. L’emploi du scaphandre autonome
permet d’espérer sauver les occupants d’un submersible échoué jusqu’à une
profondeur d’une soixantaine de mètres, malheureusement encore bien
inférieure à celle de l’immersion maximum des sous-marins modernes. Un
compartiment spécial, aménagé sous le kiosque, est mis en pression, puis un
accès à la mer est ouvert lorsque la pression correspond à la profondeur.
Individuellement, les matelots, munis d’appareils respiratoires très peu
encombrants, rejoignent la surface en remontant rapidement.
A la suite de notre mission, la
société adjudicataire des épaves du golfe de Gabès, avec laquelle la Marine
nationale prit contact, accepta de renoncer à découper l’épave à l’explosif,
et, de la remorquer jusqu’au port de Sfax.
Album
photos de Guy de Frondeville. L’épave du Morse
dynamitée un an plus tard. Coll. part. Tous droits réservés.
…/…
Décidé à retrouver la partie avant de l’épave, je nage au hasard dans l’axe
du sous-marin, planant sur un fond monotone d’herbes rabougries et de vase
durcie, entouré suivant l’usage d’une bande de petits limons, lorsque je me
trouve subitement perdu dans un nuage de taches argentées.
…/…
A peine ai-je dispersé l’essaim de balistes que, vers la droite, je distingue
un vaste arc-de-cercle de couleur sombre ; c’est l’avant du sous-marin,
qui gît, couché sur le côté, perpendiculairement à l’axe de l’épave, à une
cinquantaine de mètres de distance. Seule une explosion d’une violence
terrible peut aboutir à une telle dispersion. Des pagres de belles taille se
sont emparés de ce repère et ne cessent de s’élever et de dévaler
comiquement le long des parois abruptes de la coque éventrée. Près de
blessure, au bord de laquelle palpite une majestueuse pastenague, je découvre
la partie arrière d’une torpille, qui appartint sans doute au sous-marin. A
la remontée, les scaphandriers nous précisent qu’ils ont retrouvé, dans le
voisinage, les ancrages de quatre mines différentes, confirmant l’hypothèse
de l’explosion sur une mine.
Le nom du Morse, déjà bien
connu dans la Marine, n’est pas mort avec cette épave : un nouveau
sous-marin de grande croisière de mille deux cents tonnes, qui portera le nom
du Morse, est en construction. »
Guy
de Frondeville à bord du Petrel. 1954. Coll.
part. Tous droits réservés.
Voici les deux objets issus du site
de l’épave du Morse et désormais déposés dans les collections du
musée Frédéric-Dumas:
Vaisselle
du Morse: saucière. Restaurée par Dominique
Lafont. Fonds Guy-de-Frondeville. N°
INV 2012.184.1
Vaisselle
du Morse. Plat de service. Restauration
Dominique Lafont. Fonds Guy-de-Frondeville. N° INV. 2012.183.1
Une grande partie des objets de
la donation faite par Madame Jacqueline de Frondeville et ses enfants
ont été ou sont exposés: ART BLEU 2012, EXPO CAP NÈGRE 2013 et au musée
(actuellement les fusils de chasse sous-marine de la famille) Les documents
d’archives (en particulier des documents liés aux recherches pétrolières)
sont consultables sur demande.
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